Deux regards sur la PAC
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Paul KLOBOUKOFF
Académie du Gaullisme
Le 22 0ctobre2002
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aaaaaa Un premier regard sur le chemin emprunté par cette dame de quarante ans qui est née avec une vocation affirmée, qui l'a perdue lorsque la mondialisation a triomphé et qui en cherche désespérément une autre depuis une douzaine d'années, errant de réforme en réforme pendant que l'Union s'élargit et que la nature des liens entre ses Membres, que les motivations et l'environnement changent. Un autre regard sur les facteurs déterminants de l'évolution, de la révolution agricole, sur la part des résultats que l'on peut attribuer à la PAC, ainsi que sur la situation et les problèmes actuels, d'après les données chiffrées accessibles au commun des mortels. L'esquisse brève, par les deux documents ci-dessous, d'un bilan diagnostic, une con-tribution pour mieux comprendre et aborder les débats qui nous intéressent tous sur l'avenir de la PAC et l'Union.
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PAC : POUR QUOI FAIRE ?
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Avant propos : CECA, PAC, politique énergétique et communication : protectionnisme d'abord.
Miracle agricole : bond technologique industriel avant tout.
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aaaaaa A l?occasion du 50ème anniversaire du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier, les Autorités européennes et françaises se félicitaient cet été des succès de celle-ci comme elles le font à propos de la Politique agricole commune et, plus discrètement en France, de la résistance passive à la libé-ralisation dans les secteurs de l'énergie et des communications. Or, dans ces quatre secteurs, les politiques européennes et / ou françaises ont en commun d'avoir protégé les activités et les marchés vis à vis de l'extérieur et empêché la concurrence entre les producteurs de la Communauté. En fait, lors de la création de la Communauté européenne et de la signature du Traité de Rome en mars 1957, les six Etats fondateurs étaient protectionnistes. Ils le sont restés longtemps, en particulier avec la PAC, entraînant derrière eux à partir des années 1970 de nouveaux adhérents pourtant partisans du libre échange (Danemark, Royaume Uni, Portugal, Autriche, Finlande et Suède). La protection, y compris contre le risque militaire, a été le premier ciment de l'Union. L'après guerre et les préparatifs communautaires ont, par ailleurs, été marqués par la faiblesse technologique de l'époque, la pénurie et la précarité qui rendaient nécessaires la reconstruction, la modernisation et la recherche de l'autosuffisance, voire plus, dans des secteurs considérés comme stratégiques. Avec ou sans l'apport du Plan Marshall, les progrès ont été accélérés dans de nombreux domaines. L'essor technologique industriel et la mécanisation ont été les principaux moteurs du « miracle agricole », tandis que l'exode rural vidait les campagnes. En France, en Europe et dans la plupart des pays industrialisés, ce miracle a également pris appui sur la croissance rapide du PIB et de la consommation qui ont offert des marchés dynamiques aux productions agricoles. La progression a été rapide jusqu'à la fin des années 1960, puis elle s'est ralentie avec l'amélioration de l'alimentation, ainsi que sous l'effet d'une concurrence internationale avivée par l'élévation des potentiels de production, aux Etats Unis et en Europe, en particulier.
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aaaaaa A - De la PAC protectionniste à la PAC relais de l'OMC, la PAC de réforme en réforme
PAC = Protection de l'Agriculture Communautaire
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aaaaaa Dès l'origine et pendant près de 40 ans, la PAC a été essentiellement et reste ce que la Banque Mondiale et le FMI appellent « un système de protection et d'incitation » assorti d'une organisation communautaire des marchés nationaux (OCM). Mise en place entre 1962 et 1968, celle-ci a d'abord couvert huit OCM (céréales, graines oléagineuses, porc, oeufs, volailles, viande bovine, lait, produits à base de fruits et de légumes) où les cours mondiaux étaient généralement inférieurs aux coûts européens. Les autres secteurs (viande ovine, beurre, vins ...) ont suivi d'assez près. Pour chaque produit, un prix d?intervention commun, prix garanti sur les marchés communautaires (principe « d?unicité du marché ») était décidé chaque année, supérieur aux cours mondiaux prévus, bien sur. Les producteurs des Six étaient assurés d'écouler leurs productions à ce prix dans leur pays ou dans les cinq autres, sans avoir à se faire concurrence par les prix. Les utilisateurs (agro-industries, commerces, par ex) qui trouvaient les mêmes produits moins onéreux hors des Six pouvaient les importer moyennant paiement de taxes destinées à porter le « prix de seuil » au moins au niveau de celui du même produit « européen ». La logique du système voulait aussi que les exportateurs reçoivent pour rémunération de leurs ventes à l'extérieur un prix égal au prix garanti communautaire. Une « restitution » était donc versée pour compenser l'écart entre prix garanti et cours mondial. Le principe de la « préférence communautaire » poussait ainsi à se fournir et à vendre ses produits prioritairement sur les marchés communautaires à un prix supérieur au cours mondial, puis à exporter hors des Six. Cette protection des marchés et des producteurs était variable d'un produit à l'autre. Aux producteurs, elle procurait des sur-plus de revenus. Elle les incitait à produire plus pour gagner plus, sans se soucier de la concurrence et des besoins exprimés par la demande. L'adoption du principe de « solidarité financière communautaire » a fait prendre en charge tous les coûts de la PAC par la Communauté. Une ligne FEOGA (Fond européen d'orientation et de garantie agricole) « Garantie » a été ouverte à cet effet au budget commun. Devaient y figurer en dépenses les restitutions aux exportateurs et les coûts de soutien sur les marchés internes. En ressources de la PAC venaient les droits et les taxes à l'importation des produits agricoles et, surtout, les contributions des Etats. A côté de cela, un coût était supporté aussi par les consommateurs qui payaient les produits européens et importés plus cher que les cours mondiaux. Ceci tendait à réduire le volume de la consommation et à abaisser le surplus des consommateurs. La protection s'est perpétuée et demeure. Jusqu'en 1994, les mécanismes de base du système ont peu changé.
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Le miracle agricole a devancé la PAC ; les progrès techniques ne l'ont pas attendue
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aaaaaa Pour les instances chargées de la conception, de l'exécution, de la promotion de la PAC et/ou de l'intégration européenne, il a été tentant d'attribuer à la PAC le « miracle agricole » et d'affirmer que sans elle il n'y aurait déjà plus d'agriculture en France et en Europe. Il n'en est évidemment rien. Les pays d'Europe n'avaient pas attendu le Traité de Rome et la PAC (1962) pour se protéger de la concurrence étran-gère. D'autre part, la croissance la plus forte a été enregistrée entre 1945 et 1960, première moitié de cette période exceptionnelle de développement et de prospérité baptisée « les trente glorieuses ». Le PIB français a été multiplié par 5 au cours de ces 30 années, puis par un peu moins de 2 au cours des 25 suivantes. Dans l'explication de la croissance et de la productivité agricole, les progrès techniques industriels et la mécanisation sont au premier rang. Il ne faut pas oublier que l'on comptait encore 5 millions de bêtes de travail en France en 1950 et seulement 150000 tracteurs pour 33,5 millions d'hectares de surface utilisée. Plus de 1,2 millions de tracteurs puissants sillonnent aujourd'hui 30 millions d'hectares. Le document suivant « PAC, croissance agricole retenue et disparités dans l'union » regarde les conditions de la croissance agricole ainsi que les rôles majeurs joués par l'exode rural, les progrès techniques et la concurrence internationale, avec lesquels la PAC a composé. En soutenant les prix à la production pendant des décennies, elle a poussé des agriculteurs réactifs à intensifier à outrance et des éleveurs à industrialiser. Elle est accusée d'avoir stimulé un productivisme écervelé, conduit au gaspillage des ressources rares comme l'eau, accéléré la pollution et la dégradation de l'environnement en milieu rural, oublié la santé et la sécurité alimentaire, laissé enfreindre les lois de la nature même avec les farines animales et les OGM, alimenté la mal bouffe. Là aussi, il faut faire la part des choses. D'autres pays et continents où il n'y a pas de PAC ont connu des avatars et déplorent leur aveuglement. Observons simplement que la PAC s'est longtemps peu écartée de sa mission principale : pro-téger les productions et les marchés ... et non les consommateurs, la nature et l'environnement.
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Des « unités modernes de production » du Plan Mansholt au gigantisme et à l'hyper productivité
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aaaaaa La régulation de l'offre et de la demande par les prix de soutien s'est révélée ardue et coûteuse dès le début pour le FEOGA. Des surproductions chroniques de céréales et de lait, en particulier, ont appelé des interventions publiques ruineuses pour stocker et conserver les excédents, les écouler, les transformer ou les détruire. Les dépenses consacrées au soutien par les six Etats membres ont été multipliées par 4 rien qu'entre 1960 et 1968. Le « Plan Mansholt », du nom du Commissaire européen à l'agriculture, a proposé alors de maîtriser ces dépenses en introduisant des réformes structurelles profondes. Il voulait aider à constituer des « unités modernes de production » de dimensions suffisantes (+ ou – de 100 hectares pour les céréales, + ou – de 50 vaches laitières, par ex) et bien équipées. Pour libérer des terres et limiter les hausses de production (déjà !), une moitié de la dizaine de millions d'agriculteurs européens devait quitter l'agriculture dans les dix ans. Des préretraites et des formations-reconversions devaient y aider. Des terres agricoles ne devaient plus être exploitées (5 millions ha sur 70) et le cheptel devait être allégé de 3 millions de vaches laitières. Le diagnostic semblait lucide. Les propositions ont été jugées brutales. On peut aussi se demander jusqu'où l'interventionnisme doit aller et sur la base de quelles certitudes. Combien de temps les « normes » proposées auraient-elles été pertinentes ? Un article dans Le Monde du 23 août est intitulé « Championne de l'hyper productivité, l'agriculture américaine lutte pour sa survie ». Un agriculteur du Dakota du Nord bien équipé (tracteur de 200000 $, acheté à crédit) tire le diable par la queue sur son exploitation de 1600 ha. Subventionné, comme les autres, il est aussi transporteur routier et vend des camions pour survivre. Aux Etats Unis, le nombre d'exploitations de plus de 400 ha serait monté de 136000 à 176000 depuis 1997 ! Pourtant, le revenu agricole total net procuré ne serait pas supérieur à celui de 1929. Plusieurs idées du Plan Mansholt ont été retenues : aides au départ, préretraites, reconversions, aides aux groupements de producteurs, programmes de développement sectoriels ... Ces aides « structurelles » sont restées modestes, ne dépassant 5 à 7% du FEOGA qu'en fin de siècle. Plutôt qu'à des baisses suffisantes des prix garantis et, par conséquent, des coûts des soutiens, la préférence est allée à l'instauration de taxes de coresponsabilité, à la fixation de quotas pour le lait, à l'arrachage de vignes ou de vergers et à la mise en jachère, jusqu'à ce que cette dernière soit encouragée systématiquement. Une raison de plus pour doper les rendements, intensifier, fertiliser, arroser ? Ces tentatives de maîtrise de l'offre ont été discontinues et diversement efficaces. Il n'est pas aisé de remplacer les lois du marché !
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Les élargissements ont secoué les principes directeurs de la PAC et déclenché les essais de réduction des disparités à l'aide des « programmes régionaux intégrés » puis des projets communautaires locaux
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aaaaaa Après 10 ans de vie commune à six, l'entrée dans la CEE en 1973 du Royaume Uni, de l'Irlande et du Danemark, membres de l'Association européenne de libre échange (AELE), a provoqué des secousses. Elle a modifié les pondérations entre productions animales et végétales au sein de la Communauté. Il a fallu com-poser avec le Royaume Uni, membre éminent et obligé du Commonwealth, ménager une transition jusqu'à 1977 et accorder des dérogations, coups de canif à la préférence communautaire, sur le sucre et les produits laitiers notamment. Le principe initial de solidarité financière a du cohabiter avec celui du « juste retour » (celui qui paie doit aussi recevoir). Puis la Grèce a adhéré en 1981, avant l'Espagne et le Portugal en 1986. Ces pays ont amené un certain rééquilibrage entre le Nord et le Sud, en même temps qu'une diversification des productions et de nouvelles ou plus fortes concurrences internes sur les fruits, les légumes et la pêche, en particulier. En 1995, le quatrième élargissement a vu adhérer la Finlande, l'Autriche et la Suède, membres de l'AELE. N'oublions pas la réunification de l'Allemagne, qui a fait entrer la RDA dans l'Union. L'ensemble est devenu plus complexe et plus divers, inégal, dans les performances, dans les potentialités et dans les convictions. C'était contraire à l'idée que l'influente social démocratie européenne se faisait de l'intégration. En 1975 a donc été créé le Fond européen de développement régional (FEDER) destiné à rembourser aux Etats leurs dépenses de développement en faveur des régions présentant des handicaps et dites « défavorisées ». Des zones de montagne, les Nouvelles Hébrides, la Lozère et des régions belges ont été parmi les premières bénéficiaires de programmes plurisectoriels intégrés. Puis sont venus les tours de l'Italie, de la France et de la Grèce pour préparer l'entrée du Portugal et de l'Espagne, avec les Programmes intégrés méditerranéens (PIM), adoptés en 1985 et suivis peu après de programmes d'aide à l'agriculture portugaise et aux régions défavorisées d'Espagne. Un objectif de réduction des disparités a ainsi été ajouté à la PAC, élargissant le rôle de l'Union, non sans coûts additionnels et sans discussions. Etait-ce conforme au Traité de Rome ? Comment fallait-il interpréter celui-ci et se prononcer sur les changements qui se succédaient, se confortaient ou se contrecarraient, non sans altérer la souveraineté et les intérêts des Etats ? La Cour de Justice européenne fut appelée à la rescousse et chargée de statuer, de faire la jurisprudence qui devient loi. Qui s'en étonnera encore ? La redistribution communautaire « directe » s'est ainsi assise à côté de la redistribution née de la « solidarité financière ». Non sans dessein, la dimension régionale a été mise en exergue. En 1988, avec l'Acte unique, les Fonds structurels de la CEE ont été restructurés dans le but d'accroître la cohésion économique et sociale et de réduire les écarts de développement. La coordination entre trois Fonds d'intervention (FEOGA - Orientation, FEDER, Fond social européen) a été renforcée et les moyens ont été concentrés sur les zones rurales jugées prioritaires. En 1991, les Programmes d'initiative communautaire (PIC) ont été créés pour mettre en oeuvre une approche locale intégrée de conserve avec des communautés rurales. Oui ! La PAC a abaissé ses interventions à ce niveau ... subsidiaire ou subalterne ! La réforme des Fonds structurels a été prolongée sur la période 1994-1999, avec une exigence forte d'engagement des « partenaires » nationaux et des « acteurs » locaux révélant bien le rôle de levier dévolu aux aides de l'Union. L'ouvrage « Déméter 2002 » - éditions Armand Colin - présente la répartition des différents Fonds du budget communautaire et leur évolu-tion. Entre 1968 et 1999, le budget général de l'Union est passé de 1,905 à 84,1 milliards d'écus. Sa principale composante, le FEOGA - Garantie est passée de 1,26 milliards (66% du budget total) à 38,4 milliards (45,7% du budget). Le FEOGA - Orientation a atteint 4,5 milliards en 1999 (5,4%) tandis que les Fonds structurels, quasi inexistants jusqu?en 1975, ont connu un essor remarquable pour se monter à 30 milliards d'écus en 1999 (35,7% du budget de l'UE). Il ne faut pas en déduire que la part de l'aide allant à la protection a aussi fortement baissé, car elle n'est pas limitée aux seules dépenses du FEOGA - Garantie (voir plus loin).
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aaaaaa Le principe d'unicité du prix de soutien d'un produit a provoqué des difficultés d'application et des spéculations lors des variations des cours des monnaies nationales. Un lourd dispositif de montants compensatoires monétaires (MCM) a du être instauré. L'adoption de l'euro par 12 des 15 membres de l'Union et la stabilisation récente des monnaies l'a rendu moins utile. Avec le prochain élargissement à l'Est, il reprendra probablement du service.
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Uruguay Round, Acte final de Marrakech : la PAC s'est soumise à l?OMC
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aaaaaa Dès 1947, 29 pays ont signé un « Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) » dans le but de libéraliser le commerce international et de le faire contribuer au développement mondial. Appliqué avec une certaine rigueur aux échanges de produits industriels, il a longtemps épargné ou touché peu l'agriculture, malgré les affrontements de plus en plus violents des années 1970 et 1980 entre les Etats Unis et la CEE, alors principaux exportateurs et importateurs mondiaux de produits agricoles, en raison des résistances à la libéralisation de ces deux puissances dominantes lors des Conférences (Rounds) organisées par le GATT ... et à leur propension aux arrangements bilatéraux entre elles. Le Tokyo Round (1971-1979) a amorcé un mouvement de baisse notable de certains droits de douane agricoles et a enregistré des accords sur quelques produits animaux. Il a cependant fallu attendre l'Uruguay Round (1986-1994) sanctionné par l'Acte Final signé à Marrakech (par 114 pays assurant 90% du commerce international) pour voir l'Agriculture entrer véritablement dans le GATT, après des négociations féroces entre les deux grands concurrents et la revendication de libéralisation complète brandie par le Groupe de Cairns comptant 14 pays exportateurs et importateurs de plusieurs continents (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine, Brésil, Chili, Hongrie ...). L'acte final a défini, en particulier, les concessions et les engagements que les membres devaient respecter concernant l'accès aux marchés, le soutien interne et les subventions à l'exportation "impérativement" sur une période de six ans (1995-2001). Il a aussi déclaré que « les résultats des négociations constituent un cadre pour la réforme à long terme du commerce des produits agricoles et des politiques inté-rieures au cours des années à venir ». La PAC « encadrée » ! Contrainte de baisser en 6 ans de -36% ses taux effectifs de protection extérieure et de réduire dans le même délai les champs de ces protections de -20% à l'importation et de -21% à l'exportation. Ainsi, pour ouvrir l'accès au marché, les droits, les taxes et les autres protections à l'importation (cf prélèvements européens) devaient être abaissés de -36% par les pays développés (de -24% par les pays en développement). Pour éviter les confusions, toutes les autres protections devaient être converties en leurs équivalents tarifaires (ET). De son côté, la valeur des subventions à l'exportation (cf restitutions européennes) devait être réduite de -36% par rapport au niveau de la période de base 1986-1990, et le volume des exportations subventionnées devait être diminué de 21%. Les mesures de soutien interne des activités ont été généralement soumises à obligation de réduction de -20% au total, car la plupart ont un impact sur les volumes de production et donc sur les échanges. La baisse programmée des prix d'intervention des céréales et de la viande bovine, notamment, devait permettre de réduire la « mesure globale de soutien (MGS)» européenne des -20% requis. A la suite de discussions byzantines, des dérogations ont été accordées aux nouvelles aides internes issues de la réforme de la PAC de 1992 (attribuées aux exploitations en fonction d'une superficie et de rendements fixes antérieurs, aux aides portant sur moins de 85% du niveau de base de la production et à celles attribuées pour un nombre fixe de têtes de bétail). Pourquoi cette rencontre fusionnelle entre GATT et PAC ? Parce que la réforme Mac Sharry de 1992 (du nom du Commissaire européen à l'agriculture), portée par le vent libéral de Maastricht, a été élaborée pendant l'Uruguay Round et a été coordonnée avec le GATT qui a imprimé des changements fondamentaux à la PAC. L'Union européenne a accepté d'abaisser les prix de soutien et de renoncer progressivement à son système de protection des productions par les prix au profit d'un système plus classique et plus clair de protection par les tarifs douaniers accompagné d'aides directes aux exploitations financées sur fonds publics. Ces dernières ont été considérées comme des aides au revenu « découplées » de la production et neutres vis à vis des échanges extérieurs parce que calculées, pour les céréales, par ex, sur la base des surfaces utilisées pendant la période 1986-1988 et, pour chaque région, suivant les rendements locaux moyens à l'hectare de la même période. Elles ont, de plus, été soumises à condition de gel des terres pouvant aller jusqu'à 17,5% de la surface utilisée. Le système est un peu différent pour les produits animaux, régis par des quotas de production et de primes, avec des prix maintenus relativement élevés. L'Union a accepté de s'engager à fond dans le processus de réduction des tarifs et des aides agricoles. La PAC est devenue la courroie de transmis-sion entre les Etats d'Europe et le GATT, devenu OMC. On peut dire que la PAC est subordonnée à l'OMC, qu'elle en est le relais.
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B - D'Ouest en Est, quelle nouvelle vocation pour la PAC ?
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Désormais enchaînée à l'OMC, la PAC cherche désespérément une nouvelle voie
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aaaaaa Quelles aides directes aux revenus, à l'exploitation, à l'emploi ? resteront-elles tolérées car elles ne seront pas considérées comme des subventions interférant sur les échanges, et jusque quand ? Cela dépendra de l'OMC et de ses Membres. D'un autre côté, les pays d'Europe qui craignent de perdre des marchés et de voir l'exode des derniers ruraux s'accélérer rechignent à abandonner toute protection. En outre, des critiques émanant de la Commission, notamment, ont pointé des défaillances de la PAC en matière de réduction des inégalités, d'exclusion, de dévitalisation de régions rurales, d'impacts négatifs sur l'environnement, d'insécurité alimentaire ... de gestion bureaucratique et peu lisible. Pudiques litotes ! Mais, pistes alléchantes pour une reconversion de la PAC vers de nouvelles aventures pour intervenir encore, et si possible plus, avec de nouveaux instruments et des pouvoirs rafraîchis pour « intégrer » l'Europe ! Une Europe encore plus grande et plus diverse, plus inégale. Il n'est donc pas surprenant qu'à la Conférence de Cork en novembre 1996, M Franz Fischler, Commissaire chargé de l'agriculture et du développement rural, ait déclaré viser « une politique intégrée qui prenne en compte toutes les facettes du développement rural ». Avant et après l'élargissement à l'Est ... les objectifs seront à la fois de combattre le chômage, l'exode rural, la pauvreté et l'inégalité des chances, de répondre aux exigences sécuritaires et sanitaires, d'épanouissement personnel, de loisirs et de bien être dans les zones rurales. Il ne manque que les 35 heures ! Ce tournant n'est pas passé inaperçu des organisations professionnelles et des Gouvernements nationaux. La déclaration de Cork a tout de même inspiré les objectifs de la nouvelle réforme de la PAC (une de plus) et de l'Agenda 2000 arrêté au Conseil européen de Berlin en mars 1999 et qui couvre la période 2001-2006. « La nouvelle réforme a pour but d'approfondir et d'étendre la réforme de 1992, en remplaçant les mesures de soutien par les prix par des aides directes et en accompagnant ce processus d'une politique rurale cohérente » peut-on lire sur le site internet EUROPA. Il s'agit d'améliorer la compétitivité européenne, de mieux protéger l'environnement, d'assurer des revenus « équitables » aux agriculteurs, de simplifier la PAC et de régionaliser. Inutile d'insister ici sur les contradictions de ces « shopping lists » de nobles intentions. Les Fonds structurels et de cohésion sont sollicités. L'Agenda 2000 est aussi un cadre financier adopté pour la période 2001-2006, sans que l'on sache exactement quels programmes intégrés de développement ruraux seront proposés ni quels seront le calendrier et les conditions dans lesquelles se passeront les élargissements à venir aux 10 pays de l'Est et aux 2 pays méditerranéens. Dès 1998, il avait été prévu que les entrées se feraient en deux groupes de 6 pays, le premier, constitué par la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque, l'Estonie, la Slovénie et Chypre, en 2003 ou en 2004, devançant celui comptant la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie et Malte, aux performances plus éloignées de celles exigées par l'Union. Depuis quelques jours, il semble que les 12 pays doivent entrer ensemble. Quant à la Turquie... ? Le cadre financier prévoit des limites que le budget de l'Union ne devra pas dépasser, fixées à 1,27% du PIB de l'Union, et une programmation annuelle des ressources des différents Fonds mobilisant, en termes de crédits de paiement comptés en euros de l'année 1999, 89,6 milliards par an. Ceux-ci représenteront 1,13% du PIB en 2000 et 0,97% du PIB en 2002, laissant une marge pour les imprévus. Dans cette enveloppe, les dépenses pour la PAC sont évaluées à 38,2 milliards d'euros par an, en moyenne, sans les dépenses pour le développement rural et l'accompagnement. Avec celles-ci, les dépenses annuelles s'élèveront à 42,53 milliards, soit 47,5% du budget total. En attendant les premières adhésions, un Instrument Structurel de Pré-Adhésion (ISPA), doté de 1,040 milliard d'euros annuellement depuis l'an 2000, et un Instrument Agricole de Pré-Adhésion (SAPARD), doté de 0,520 milliard par an, ont été créés pour compléter les ressources spécifiques qu'apporte le programme PHARE (1,560 milliards d'euros). Côté ressources pour l'élargissement, les lignes de crédit sont donc prévues. C'est tout simple. Maintenant, on peut attendre, les lignes à portée de main.
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Quel élargissement ? La PAC, pour quoi faire ?
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aaaaaa L'accouchement de l'accord de Berlin a eu lieu aux forceps, en raison des divergences des intérêts des Etats membres. La part a été faite belle notamment aux régions céréalières à forts rendements et à gros producteurs, en France en particulier, par rapport à celles où les rendements étaient moindres et aux régions spécialisées dans les productions de lait et de viande. L'examen des ressources de la PAC allouées par pays fait apparaître des situations avantageuses pour la France, l'Espagne, la Belgique et l'Irlande. Au contraire, d'importants contributeurs au budget comme le Royaume Uni et plus encore l'Allemagne ne bénéficient pas du « juste retour ». Le Portugal, la Grèce et l'Irlande, qui émargent aux programmes de cohésion, car les revenus moyens par tête y sont inférieurs à 90% de la moyenne communautaire, s'inquiètent de voir les pays de l'Europe centrale et orientale (PECO) mobiliser les ressources de cohésion, voire plus, à leur profit. Plusieurs Etats et le Commissaire à l'agriculture réclament une nouvelle réforme de plus, d'urgence, avant les décisions imminentes sur les adhésions ... ainsi que pour se mettre en phase avec l'agenda de l'OMC et préparer les positions européennes pour les prochaines réunions. Pas de panique, nous sommes à 3 ans de 2006 !
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aaaaaa Le budget annuel réservé à l'agriculture est proche de 0,60% du PIB de l'Union (8524 milliards E en 2000). Après une quarantaine d'années de faible progression, la valeur ajoutée agricole (146,9 milliards E) ne représente plus qu'environ 1,72% du PIB en 2000. Le montant moyen des aides de l'Union à l'agriculture prévues est ainsi de l'ordre du tiers de la valeur ajoutée agricole. Nettement plus pour certains pays et moins pour d'autres. Rappelons qu'à ces débours de l'Union s'ajoutent les aides des Etats eux mêmes et les suppléments de prix par rapport aux cours mondiaux financés par les consommateurs. Au total, le niveau de la protection reste donc nettement plus élevé chez les 15 que dans la plupart des pays de l'OCDE, un peu inférieur à 40% de la valeur des productions. L'accès à des aides aussi consistantes par les PECO entrants, dont les besoins sont criants, pose aussi des problèmes de financement et de partage de la manne (cf ci-dessus) ainsi que de risques de « complications ». Sont en effet possibles des flambées des prix, aujourd'hui plus bas à l'Est qu'à l'Ouest, des relances de productions actuellement dirigées à la baisse, si les agriculteurs des PECO sont en droit de profiter de prix de soutiens et/ou de subsides aux exploitations vite alignés sur ceux de l'Ouest, et « concurrences désordonnées », par ex si l'OMC n'accepte pas de hausses des protections des PECO entrant dans l'Union. Des discussions vives sur le sujet seraient en cours avec la Pologne, en particulier. Du fait des nombreux handicaps qu'ils connaissent, des retards de développement et de la faiblesse des revenus, les nouveaux membres devraient cependant bénéficier d'aides consistantes, particulièrement dans le secteur agricole qui occupe une place plus grande chez eux que chez nous ... si la PAC et « l'acquis communautaire » restent en l'état. Mais pour quoi faire et comment ? Pour cloner l'Union à 15 et faire partager aux nouveaux venus notre expérience : exode rural encore plus rapide que celui qu'ils connaissent, intensification, industrialisation, réduction de la place de l'agriculture et de l'emploi agricole, tentatives laborieuses de réductions de disparités régionales ou locales, mêmes impacts écologiques et sanitaires ...
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aaaaaa Ces questions viennent s'ajouter à celles que nous pose déjà avec acuité la PAC depuis qu'elle a perdu sa vocation initiale, la protection aux frontières et la neutralisation des concurrences à l'intérieur de l'Union, depuis que les questions alimentaires principales ne sont plus quantitatives, mais qualitatives , sanitaires, écologiques et éthiques, ainsi qu'au fur et à mesure où le développement agricole est devenu un enjeu plus mineur pour la plupart des Membres. Il faut bien se rendre compte que lorsqu'un Etat, par ex la France, se fixe un objectif global de croissance de +2,5% par an, cela signifie que chaque année il se propose d'augmenter son PIB de plus de la totalité de la valeur ajoutée agricole nationale. Depuis une douzaine d'années, la PAC tâtonne, cherchant de nouveaux buts motivants, refusant de voir les contradictions de l'Union et s'égarant dans l'accessoire. Certes, des politiques agricoles, économiques et sociales communes sont nécessaires pour que l'Europe acquière une consistance. Il est même souhaitable qu'elles concourent à un dessin européen, aient des buts communs. Comment est-ce possible si l'Union n'a pas d'autres buts explicites (oh combien complémentaires !) que faire respecter la concurrence, stimuler la compétition, et réduire les disparités, niveler ? Les quatre politiques que nous avons évoquées au début étaient basées sur des ententes entre Etats, contre la concurrence. Illégal maintenant. La CJE a refusé toute bouée au secteur textile français en détresse. La baisse de la TVA à 5,5% dans la restauration pose problème. Il n'a jamais été question d'aider les microentreprises, les artisans, les petits commerces à survivre en ville ou en milieu rural où ils formaient avec l'agriculture le tissus de la vie active. Et on parle de cohérence ! En l'état actuel des choses, les pistes de secours pour la PAC apparaissent ténues. Certes, la PAC pourrait apporter une contribution au rééquilibrage indispensable, vital, entre villes et campagnes par le maintien d'une vie, d'activités en milieu rural, par la préservation, la réhabilitation, la protection de la nature et de l'environnement. Mais pas seule et pas seulement dans les localités les plus reculées ou handicapées où les chances de succès sont les plus faibles. En outre, il ne s'agit pas de faire des contrebandiers des gabelous, et de reconvertir des agriculteurs, producteurs de métier et par vocation, qui resteront utiles à leurs postes (compte tenu des départs à la retraite attendus), en paysagistes et en jardiniers amoureux de la nature et de l'agriculture biologique. D'autres travailleurs peuvent venir du pays rural s'occuper de l'aménagement du territoire. Quant au choix ravageur de l'intensification, il faut le reconsidérer et ne pas hésiter à appliquer le principe pollueur payeur pour prévenir les overdoses d'engrais et d'autres produits dangereux. L'agriculteur mérite aussi d'être soutenu dans ses rapports inégaux avec les firmes agroalimentaires internationalisées et sa dépendance de la grande distribution qui l'éloignent des marchés et lui laissent une part minime des prix des produits alimentaires payés par les consommateurs. La PAC peut aider les agriculteurs à prendre leur juste place dans les filières agroalimentaires et à mieux protéger les consommateurs.
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NB : sources statistiques : FAO, OCDE, EUROSTAT ... ; parmi les ouvrages consultés (autres que ceux déjà cités) : La politique agricole commune-J Loyat et Y Petit - La documentation Française (LDF), Thèmes d'actualité 2002-2003 - R Pérès - Vuibert, Questions européennes - CAE - LDF, Les politiques communautaires - M Durousset - Ellipses, Fiches techniques sur l'Union européenne - DGE - Parlement européen, L'élargissement de l'Union européenne, jusqu'où ? - J F Drevet - L'Harmattan.
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PAC : CROISSANCE AGRICOLE RETENUE ET DISPARITES DANS L'UNION
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Une véritable révolution agricole a bousculé une PAC défensive
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aaaaaa En moins d'un demi-siècle, c'est à une révolution que l'agriculture européenne et le monde rural ont été confrontés. Ils ont été bousculés et pressés par l'exode rural et l'urbanisation, les progrès techniques et l'industrialisation, ainsi que par la détérioration des prix des produits agricoles par rapport à ceux des autres biens et services. La PAC a subi et s'est pliée sous le puissant tourbillon. D'essence protectionniste, elle a longtemps résisté au vent de la libéralisation des échanges et a retardé l'alignement des prix agricoles européens sur les cours mondiaux. En même temps, par les incitations à la production, à l'intensification et au suréquipement, elle a avivé la concurrence internationale et a poussé les cours mondiaux à la baisse. Avec les élargissements successifs depuis 1973 et, tandis que ses positions vis à vis du GATT puis de l'OMC fléchissaient, la PAC a incorporé des objectifs et des actions diverses de réductions des disparités nationales et régionales, de développement rural local intégré ... tout en essayant de renvoyer aux uns et aux autres des aides en « juste retour » de leurs contributions, de ne pas défavoriser l'élevage par rapport aux cultures ... Bref, la recherche d'un plus petit dénominateur commun plus que de la mise en valeur des principales potentialités de l'Union ... ou de chaque pays, dans la perspective mondialiste actuelle. Les résultats sont faibles en matière de production (+70% en 39 ans, de 1961 à 2000) ; le miracle agricole avait précédé la PAC, entre 1945 et 1960. Les baisses de l'emploi agricole, divisé par 3,6 entre 1961 et 2000, et de la population rurale ont été plus fortes qu'ailleurs, tandis que le chômage a sévi en ville. Les campagnes ont été vidées, dévitalisées, et l'environnement a été dégradé. L'agriculture ne représente plus que 1,72% du PIB de l'Union en 2000. Finalement, les gestionnaires de la PAC n'ont-il pas rempli leur mandat : réduire sans Jacqueries sanglantes l'agriculture des 15 à des dimensions modestes, telles que son coût communautaire soit acceptable par tous ? Quant aux autres objectifs, l'ampleur des écarts de niveaux et de potentiels, la faiblesse relative et le saupoudrage des moyens spécifiques expliquent sans doute que les résultats en sont peu ou pas visibles dans les statistiques par pays. Une ambulance peut-elle aussi être un véhicule de compétition ? La plaque d'immatriculation doit-elle être européenne ou nationale ? Deux questions à se poser également. A la veille du grand élargissement à l'Est qui va changer l'Union (c'est souhaitable !) et qui va faire entrer des pays réellement pauvres où l'agriculture n'est pas marginale, il faut poser à terre la valise en carton intégrationniste de l'acquis communautaire et des jalousies mesquines qui ne feront pas l'Europe, l'ouvrir et en exposer le contenu, l'aérer et le renouveler pour constituer un nouveau trousseau.
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aaaa Un exode rural tenace et des progrès techniques géants ont redessiné l'agriculture européenne
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aaaaaa L'urbanisation et l'exode rural persistants avivés par les promesses de modernité des villes et par l'attrait des revenus distribués par l'industrie et les services ont raréfié la main d'oeuvre agricole. De plus de 37 millions de personnes en 1950 dans les 15 pays de l'actuelle Union européenne, elle est descendue à 7,6 millions en 2000 et ne sera plus que de 5 millions en 2010 (FAO). Le vieillissement de la population agricole y contribuera. En France, la chute a été encore plus sévère, de presque 6 millions en 1950 à 900000 en 2000, et 555000 prévus en 2010. A cet égard, l'Europe a plus que comblé le retard qu'elle avait pris sur les Etats Unis (8,3 millions d'agriculteurs en 1950 et 3 millions en 2000). Pendant ce demi-siècle, la main d'oeuvre agricole mondiale a cru de 800 millions à 1,32 milliards de personnes. La place de l'Europe est de-venue presque invisible : 0,8%. Mais, en raison de la faible productivité dans les pays les plus peuplés et les pays sous développés, l'Europe des 15 fournit cependant encore 10,5% des céréales, 15,7% des viandes et 21,8% du lait produits dans le monde. Ensemble avec les Etats Unis, ces pourcentages se montent à 27%, 32% et 22%. Bien qu'en forte baisse depuis 1950, ces chiffres expriment l'ampleur des progrès technologi-ques industriels et des gains de productivité chez ces grands rivaux dans la conquête des marchés mondiaux, nantis de potentiels agricoles considérables et de ressources financières pour investir et les faire fructifier. Au revers de la médaille, les visages émaciés de deux tiers de la population mondiale et la faim de 800 millions d'enfants, de femmes et d'hommes nous demandent si nous ne nous trompons pas de combat. Les écarts se sont creusés comme des tombes. PAC, il ne faut plus détourner les yeux. Il faut tendre la main vers les grands, les vrais problèmes de ce monde.
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aaaaaa PAC : quarante ans de productivisme, d'intensification et d'agression de l?environnement
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aaaaaa Entre 1961 et 2000, la production agricole nette mondiale a été multipliée par 2,5 (FAO - $ constant, base 1989-1991). La productivité du travail n'a cru que de +60%, soit +1,1% par an, en moyenne. Pendant ce temps, dans l'Europe des 15, la productivité a été multipliée par un peu plus de 6 et, avec la réduction drastique du nombre d'agriculteurs, la production a été accrue de +70% seulement. En France, la productivité a même été multipliée par 7,6, mais la production n'a augmenté que de +63%. Les gains de productivité ont un peu plus que compensé la baisse des effectifs. On peut dire aussi que la main d'oeuvre agricole a été une variable d'ajustement du processus de « modération » de la croissance de la production agricole, jugée coûteuse en subventions de la PAC. Les départs de travailleurs ont appelé des gains de productivité qui, pour leur part, ont entraîné des baisses d'emploi. Processus cumulatif ? Probablement. Aux Etats Unis, où la production a doublé entre 1961 et 2000, les effectifs ont été réduits de -40% environ, et non divisés par 6 ou 7.
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aaaaaa En 1961, environ 70% des 11,3 millions de tracteurs recensés dans le monde l'ont été aux Etats Unis (41,4%) et dans l'Europe des 15 (28,8%). Le parc mondial a cru assez vite jusqu'à 26,5 millions d'unités en 1990 et s'est stabilisé. Chez les 15, le parc a augmenté de façon discontinue pour dépasser un peu les 7 millions d'unités en 2000. C'est beaucoup. On comptait 1 tracteur pour 50 hectares arables en 1961. Depuis 1990, il y a 1 tracteur pour 20 ha. Aux Etats Unis, la densité de tracteurs est restée stable, 1 pour 90 hectares, sans doute plus puissant. Dans le monde, la densité moyenne est voisine de 1 pour 190. La course à la production et aux primes de la PAC conjuguée à des anticipations trop optimistes sur les perspectives de croissance et les prix de vente futurs n'ont-ils pas conduit au suréquipement en Europe ? Les amortissements et les frais financiers ponctionnent sérieusement les revenus des agriculteurs. D'un autre côté, le potentiel de production a pesé sur les prix des marchés internationaux qui, à leur tour, ont tiré à la baisse les prix de sou-tien européens renforçant l'exode agricole.
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aaaaaa Les surfaces arables ont baissé de -16, 2% chez les 15, s'étendant sur 73,5 millions d'ha en 2000, et les surfaces agricoles ont perdu -14,5% pour couvrir 140,6 M ha. En apparence et globalement, il n'y a pas eu de contrainte foncière, notamment parce que la CEE a choisi d'intensifier. En réalité les pressions sur les terres ont été et restent fortes dans les « petits pays », comme en attestent les répartitions inégales des grandes et des petites exploitations En 1997, sur un total de 226300 exploitations d'au moins 100 hectares, 88% se trouvaient dans les 5 pays les plus vastes : 34% en France, 21% en Espagne, 17% au Royaume Uni, 10% en Allemagne et 6% en Italie (EUROSTAT-2002). Au contraire, les petites exploitations dominaient en Belgique, en Grèce, en Irlande, aux Pays-Bas et en Finlande. La pression foncière y a incité plus à l'intensification des cultures et à l'industrialisation de l'élevage.
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aaaaaa La consommation moyenne mondiale d'engrais, d'un peu moins de 25 kg par ha arable en 1961 a vite monté pour atteindre 100 kg/ha depuis 1990. Elle s'est rapprochée de la consommation américaine (105 kg), assez stable. La dose de fertilisants avoisinait déjà 130 kg/ha dans l'Europe des 15 en 1961. Elle y dépassait 210 kg en 1970 et 260 kg en 1980 ; puis elle est revenue au dessus de 210 kg en 2000. Quant à la France, partie dans la moyenne européenne, elle a passé aisément les 310 kg en 1980 et n'est redescendue résolument qu'après 1990, jusqu'à 225 kg en 2000. La course à la productivité et aux primes de la PAC a favorisé l'overdose de fertilisants ... et sans doute de désherbants, de fongicides, d'insecticides ... que nous ne pouvons pas tous examiner ici.
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aaaaaa En Europe, les prix des produits agricoles ont augmenté moitié moins que ceux des PIB
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aaaaaa Les paysans européens ont connu une détérioration analogue à celle des « termes de l'échange » qu'ont déplorée de nombreux pays du Sud aux vocations agricoles. Dans un contexte général inflationniste, avec des poussées violentes lors des chocs pétroliers de 1973 et de 1979, la maîtrise des prix a été difficile. Depuis 1973, année du 1er élargissement, à 1997, les prix des PIB ont été multipliés par 1,8 chez les maîtres de la stabilité allemands. Ils ont été multipliés par 50 chez le plus mauvais élève, la Grèce. Entre les deux , on a vu plus de rigueur au Nord et au Centre (multiplication par 2,9 aux Pays Bas, par 4,2 au Danemark, par 4,8 en France, par 6,8 au Royaume Uni ...) qu'au Sud (par 10,5 en Espagne et 11,8 en Italie). Traditions, robustesse des économies et stratégies économiques différentes. Les dévaluations et les autres ajustements monétaires que nous connaissons sont venus corriger ces écarts de comportements. Les augmentations des prix des productions agricoles ont été bien moindres et, fait remarquable, en moyenne d'environ la moitié des augmentations de prix des PIB (OCDE) . Les rapports entre les deux augmentations de prix ont été de 0,54 au Royaume Uni, de 0,51 en Italie, de 0,49 en Allemagne et en Espagne, de 0,47 en France ... de 0,44 aux Pays-Bas, de 0,42 au Danemark, de 0,41 en Grèce (FAO). Les valeurs ajoutées agricoles et les revenus des agriculteurs en ont été gravement affectés.
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aaaaaa 1961-2000 : Performances disparates des 15 pays, spécialisations et déspécialisations
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aaaaaa Entre 1961 et 2000, la production nette des 15 a progressé de +70%, rappelons le, soit au rythme moyen de +1,3% par an. Aucun des « trois gros » fondateurs n'a obtenu cette petite moyenne : Allemagne +59%, France +63%, Italie +45%. La soumission à la PAC dès 1962 explique-t-elle ce manque de vigueur ? Avec plus de +100%, le Benelux s'est classé en tête des vétérans devancés aussi par l'Espagne +158%, l'Irlande +116% et la Grèce +103%. En dessous de la moyenne sont arrivés le Royaume Uni (+52%), l'Autriche et le Danemark (+46%), le Portugal (+37%) et, tout en bas de tableau, se sont retrouvées la Finlande et la Suède (+11%).
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aaaaaa Globalement, les croissances des cultures (+71%) et de l'élevage (+66%) ont été proches. Résultat de la recherche d'un équilibre sous la pression des Etats et des lobbies professionnels ... Les pays du Sud ont accru fortement leurs productions de viandes : Espagne +650%, Portugal +320%, Grèce +220% et Italie +180%. De 15,4% du tonnage de viande des 15 en 1961, ils sont passés à 28,7% en 2000, soit à 10,3 millions de tonnes sur 36 Mt. Trois « petits » pays d'élevage du Nord ont vite progressé : le Danemark (+135%), l'Irlande (+230%) et les Pays-Bas (+300%). Le classement des plus lourds producteurs de viande a été bouleversé, indiquant une déspécialisation au sommet et l'affirmation de nouvelles « vocations ». L'Allemagne (+48% seulement) a perdu la 1ère place au profit de la France, dont la production n'a pourtant cru que de +75%. Le Royaume Uni (+60%) a glissé de la 3ème place à la 5ème, dépassé par l'Espagne et l'Italie. Une nouvelle carte de l'élevage s'est dessinée ... que la crise due à l'ESB en fin de période n'explique que partiellement. La production de viande bovine a reculé entre 1990 et 2000 de -800 mille tonnes en Allemagne, -400 mt en France et de -300 mt au Royaume Uni ... et la production des 15 (7,4 Mt en 2000) n'est que de +31% supérieure à celle de 1961 ; elle ne représente plus que 21% du poids total de la viande produite dans l'Union. Le porc (17,6 Mt) ainsi que les viandes ovines, caprines, les volailles ... la devancent largement (11 Mt) depuis les années 1980. Quant à la production de lait, elle a été freinée et/ou a reculé partout depuis 20 ans. En tout, elle est de 126 Mt, soit +24% de plus qu'en 1961. Vigoureusement soutenue par la PAC, la production céréalière a trouvé des débouchés à l'exportation et a augmenté de +137% (217 Mt en 2000) au cours de la période. La production de blé, bénéficiant des subsides les plus forts, a été triplée (105 Mt en 2000). Celle des autres céréales destinées principalement à l'alimentation animale (maïs, orge, seigle ...) a été doublée au cours des 20 premières années pour rester ensuite à peu près stable entre 100 et 110 Mt. La France a renforcé sa domination céréalière avec plus de 35% du blé et 30% de l'ensemble des céréales pro-duites par l'Union en 2000. L'Allemagne a consolidé sa 2ème place avec 20% du blé et des autres céréales. L'Espagne a ravi la 3ème place à l'Italie, tandis que le Royaume Uni a conservé sa 4ème place. D'autres productions végétales ont baissé ou peu progressé devant une demande en régression ou bien face à une concurrence extérieure avec laquelle ils ont du partager les marchés (ex : pommes de terre et fruits et légumes, primeurs, en général). Si on prend en compte toutes les cultures, les plus fortes hausses de production ont été enregistrées par l'Espagne (+122%), très polyvalente, et la Grèce (+103%), au Sud, ainsi que par le Benelux et le Royaume Uni au Nord (+104%). Le Danemark, la Finlande et la France ont aussi progressé un peu plus que la moyenne.
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aaaaaa Ces observations à l'aide de données FAO partant du début de la PAC posent des questions. La faim ne hante et ne menace plus l'Europe. La pauvreté a beaucoup reculé en 40 ans. Appartient il à une PAC d'orienter ainsi les comportements, directement ou non, d'aider plus le blé ou le maïs, le lait ou le vin, les veaux, les vaches ou les cochons ...? En vertu de quoi ? En outre, les résultats ne seront ils pas éphémères puisque la baisse de la protection promise à l'OMC et en cours devrait réactiver la concurrence avec l'extérieur et entre les pays de l'Union ?
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aaaaaa Elargissements et réductions ou accroissements des disparités ?
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aaaaaa Le site de l'OCDE contient des statistiques de productions et de valeurs ajoutées (VA) agricoles, notamment, depuis 1973, année du 1er élargissement de la CEE, à 1997. La croissance y est mesurée en dollar constant et en parité de pouvoir d'achat (PPA) de l'année 1990. A cette aune, la croissance de la VA agricole des 15 a été peu étoffée : +39% en 24 ans, c'est à dire +1,4% par an en moyenne. Trois pays du Sud ont été à la traîne : l'Espagne +17,8%, la Grèce +26,2%, l'Italie +24%. La contradiction apparente avec les fortes hausses des productions espagnole, grecque et italienne notées précédemment entre 1961 et 2000 peut s'expliquer par des progressions plus fortes entre 1961 et 1973 que par la suite, ainsi que par des différentiels croissants et élevés entre les valeurs des productions et les coûts des intrants. Un peu au dessous de la moyenne se trouvent aussi la Belgique +32% et l'Allemagne +35%. Les progressions ont été plus élevées et voisines de +50% pour la France, l'Irlande et le Royaume Uni. Assez loin devant, aux cotes +79% et +84%, se trouvent le Danemark et les Pays-Bas.
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aaaaaa Des données plus complètes sont disponibles sur la période 1980-1997. Elles confirment le classement antérieur et font apparaître une partition des pays en trois groupes : - le peloton formé par la Belgique, la France, l'Allemagne, l'Irlande, le Royaume Uni et la Suède qui arrivent groupés après avoir progressé de +30% à +35% en 17 ans, à des vitesses moyennes proches de +1,7% par an ; - les échappés : Danemark, Pays Bas et Portugal qui ont avancé de +48 à +56% ; - les décrochés qui comptent la Finlande et le Luxembourg, aux progressions quasiment nulles, ainsi que les trois Sudistes aux fragilités monétaires.
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aaaaaa Avec de telles performances, les fortes disparités entre les VA par travailleur agricole ou par unité de travail, VA/UT, existant entre les pays de l'Union n'ont pu être réduites que pour deux pays, le Portugal ( où VA/UT = 5420 euros/an en 1997) et l'Irlande (15500 E). Au contraire, il y a eu accentuation des disparités pour l'Italie (15900 E), la Grèce (8386 E), l'Autriche (14900 E) et la Finlande (11300 E), où les VA/UT étaient déjà faibles, ainsi que pour les Pays-Bas (46300 E) et le Danemark (39900 E) où, à l'opposé, elles étaient déjà élevées. Quant aux trois gros du peloton, la France (32400E), le Royaume Uni (28900E) et l'Allemagne (26100 E), ainsi que la Suède (21000 E) et l'Espagne (20800 E), leurs positions, peu éloignées de la moyenne de l'Union (21000 E) ont peu changé. Ces observations sont formulées avec précaution car les facteurs agissant sur les VA/UT sont nombreux. Elles poussent, toutefois, à douter de l'impact au niveau national des tentatives de réductions des disparités aux niveaux régionaux et locaux, notamment, promues par la PAC et cofinancées par les Etats. On peut d'autant plus se demander si de telles interventions, redistributions, doivent encore relever de la PAC et non des Etats eux mêmes.
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aaaaaa PAC : de l'aide économique à la protection des modes de vie ... et des agriculteurs
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aaaaaa Au plan économique, la place de l'agriculture s'est rétrécie. La VA agricole ne représente que 1,72 % du PIB pour l'ensemble de l'Union en 2000. 6 pays du Nord (Suède, Luxembourg, Royaume Uni, Finlande, Allemagne, Belgique et Autriche) dont la VA agricole représente entre 0,6 et 1,2% du PIB peuvent raisonna-blement être considérés comme non agricoles. 6 pays ont des secteurs agricoles jugés relativement importants (Danemark, Pays-Bas, France, Irlande, Italie et Portugal). Leurs ratios VA agricole / PIB sont compris entre 2% et 2,8%. Les exceptions culturales, si l'on peut dire, sont l'Espagne (3,7%) et la Grèce (6,9%). En termes d'emploi, la place de l'agriculture est un peu plus grande et les écarts sont plus accentués, on s'en doute. Les enjeux et les motivations sont donc très différents d'un pays à l'autre. La fixation des contributions financières en fonction des valeurs des PIB peut ne pas plaire également à tous, grands ou petits, généreusement aidés ou mal servis ... De concert avec les choix et la modulation des aides, elle ne peut se passer de dialogue Nord-Sud ni, désormais, de concertation Est-Ouest. Les dimensions économiques des problèmes agricoles et les aspects quantitatifs semblent appelés à se réduire encore tandis que d'autres questions viennent sur le devant de la scène : - la préservation ou le sauvetage de l'équilibre villes-campagnes et des mo-des de vie ; - les préoccupations écologiques, de préservation de l'environnement et des espèces ; - la sécurité alimentaire et la qualité. Aucun modèle ne doit être imposé en la matière, à 15 Membres, à 25 ou plus. Chaque peuple a le droit de disposer de lui même. Ce droit doit être garanti. A l'Ouest comme à l'Est, où les problèmes existent aussi et où le patrimoine national public et privé doit, en outre, être protégé des grands prédateurs étrangers. Par ailleurs, plus prosaïquement, une nouvelle PAC devra tenir compte de l'intégration croissante d'une agriculture qui reste fragmentée avec les agro-industries et la grande distribution, de sa dépendance vis à vis de ces secteurs puissants, concentrés, multinationaux. Il lui appartient de défendre et d'épauler les agriculteurs et leurs regroupements dans cette confrontation inégale.
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NB : Suggestion : Les pays grands exportateurs de denrées agricoles ne pourraient-ils acquitter une contribution (taxe) solidarité-faim qui servirait à financer des aides aux programmes de développement agricole vivrier des pays les plus touchés par la famine et/ou les moins avancés (pma) ?