Des feux d'artifices pour la fête des retraités |
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Paul KLOBOUKOFF 23/04/2001
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aaaaaa Si je proclame vaillamment « La grande criminalité est en baisse. », alors qu'elle a augmenté (+ 10% par exemple), mais moins que la délinquance en général (+ 20%), vous penserez que ça ne va pas dans ma tête. Pourtant, à l'intérieur de la délinquance, la place prise par la grande criminalité aura un peu baissé, car d'autres délits seront devenus encore plus fréquents. C'est ce type de raisonnement qui conduit les observateurs de la pauvreté aussitôt relayés par les médias à déclarer « Désormais, les retraités apparaissent moins pauvres que les salariés. ... En 1970, le taux de pauvreté augmentait avec l'âge. C'est l'inverse en 1996, où les plus âgés connaissent un taux de pauvreté bien inférieur à celui des jeunes. ». On retire au mot pauvreté sa signification habituelle en le remplaçant par un concept, un OGM complexe, la pauvreté monétaire relative, que l'on baptise pauvreté, sans autre formalité. La démocratie recule à nouveau devant la technocratie et l'idéologie unique. Il ne faut pas.
Ce n'est pas suffisant pour convaincre les retraités d'enrichissement personnel. Il faut aussi user d'artifices pour les habiller en justiciables et les salariés ainsi que les jeunes en victimes crédibles. Tous ces efforts détournent de la recherche de la vraie pauvreté et de ses racines. Mais, ça permet d'en parler. Et, c'est souvent celui qui en parle le plus qui en fait le moins. |
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Les indicateurs de revenus montrent la baisse générale de la pauvreté de 1970 à 1996
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aaaaaa Pourquoi a-t-on choisi une aussi longue période ? 26 ans. L'après de Gaulle. Il est vrai que la lutte contre la pauvreté est un combat de longue haleine, permanent, qui exige de la continuité.
Les statistiques de l'INSEE sur les revenus et le patrimoine des ménages montrent que la pauvreté, à son sens habituel, a reculé de 1970 à 1996 pour l'ensemble des ménages, pour les retraités et pour les salariés. Les revenus individuels ont plus que doublé (+122%) chez les 10% des ménages les plus pauvres. Deux sous périodes aux traits contrastés peuvent être distinguées. 1970 - 1979 : conduite à droite sous les chocs pétroliers. Héritage du Gaullisme. Legs de mai 1968. Inflation. Forte croissance du PIB (+36,2% en 9 ans), profitant largement aux ménages (revenu disponible par individu : +40,5%) et plus encore aux 10% des ménages disposant des plus faibles revenus (+75%), aux plus pauvres salariés (+40,7%) et aux retraités (+95,7%). Quel recul de la pauvreté ! 1979 - 1996 : 14 années sur 17 de gestion socialo-cohabitationniste. Inflation progressivement jugulée. La France s?intègre de plus en plus à l'Europe. La croissance du PIB est ralentie (+37,5% en 17 ans). Le chômage s'installe et s'amplifie. Le revenu des ménages ne progresse que de 16,4% par individu. Les 10% les plus pauvres sont un peu mieux servis (+27,1%). Mais, seulement +18% chez les retraités et, catastrophe, +8,9% chez les salariés, dont le revenu fiscal moyen chute de 25,5%. Le visage de 1980 - 1996 était triste. Accoler le sourire de 1970 - 1979, c'est pratiquer un joli « lifting ». Volontaire ? La réduction des inégalités se révèle aussi très conséquente. Une réelle convergence rapproche en 1996 les revenus par individu des 10% des ménages les plus pauvres : 39014 F pour l'ensemble des ménages, 40014 F chez les retraités et 41076 F chez les salariés. C'est grâce à la hausse et à l'alignement des aides et des minima sociaux, tandis que les prélèvements obligatoires grimpent de 35% du PIB en 1970 à 45,7% en 1996. Ce ne sont pas forcément la croissance et la droite qui sont porteuses d'inégalités. Et, tout compte fait, les « partages » autoritaires du travail et des revenus ne sont ils pas des signes de renonciation à plus de croissance et à plus de progrès matériels ainsi que de repli devant la compétition internationale. Attention ! Nous ne sommes plus en vase clos. Souviens toi du traité de Maastricht et de l'OMC ! |
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La « pauvreté monétaire », OGM fumigène de la pauvreté
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aaaaaa Si la lutte contre la pauvreté et l'exclusion réunit un large consensus, les avis sont mitigés à l'égard de la politique de réduction des inégalités de revenus de gauche. Avec elle, on quitte les valeurs absolues pour le relatif. L'ennemi peut facilement devenir la disparité, les « zaisés », les nantis, ... ou les retraités. En guise de cheval de Troyes, un concept de convenance, « convenu », dit on, a été introduit, la « pauvreté monétaire relative », associé à un « seuil de pauvreté » hybride, égal à 50% du revenu disponible médian des ménages. Par définition, une moitié des ménages a des revenus inférieurs au revenu médian, l?autre moitié a des revenus qui lui sont supérieurs. Dans un ménage, la personne de référence compte pour une unité de consommation (1 UC), les autres de plus de 14 ans pour 0,5 UC, et les enfants pour 0,3 UC. Le revenu disponible du ménage est son revenu fiscal annuel, diminué des impôts payés et majoré des aides sociales reçues (RMI, API, AL, ASMV, PSD, ...) ainsi que des loyers fictifs économisés par les propriétaires de leurs logements. Tous ces éléments, non déclarés, sont estimés. Le seuil de pauvreté monétaire est national. Le même pour tous en France, retraités valides ou dépendants, fonctionnaires ou privés, handicapés, malades ou bien portants, Parisiens, Corses ou Bretons. Par contre, chaque pays d'Europe a son propre seuil. Si l'échelle des revenus est assez resserrée au Portugal, en Estonie, ou en Roumanie, par exemple, on pourra alors dire sans plaisanter qu'il y a moins de « pauvreté » dans ces pays qu'en France. Voilà une base solide pour bâtir l'Europe !
Chez nous, le seuil mensuel de pauvreté était chiffré à 2108 F en 1970 et à 3500F en 1996, plus élevé, donc, de 66%. « Il y a plus de « salariés pauvres» en 1996 qu'en 1970 », veut dire qu'il y a proportionnellement plus de « salariés pauvres » en 1996, moins pauvres qu'en 1970 ! Même chose pour les jeunes « plus pauvres ». Pendant ce temps, on assiste à la baisse de la « pauvreté monétaire » de l'ensemble des ménages. Elle se lit à la diminution importante des nombres et des pourcentages de ménages dont les revenus sont inférieurs au « seuil de pauvreté » (2538000, soit 15,7% du total en 1970, 1736000, soit 9,1% en 1979 et 1610000, soit 7% en 1996). Il faut donc nettement relativiser ? et renoncer à cet OGM de la pauvreté, fumigène techno. |
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Feux d'artifices ou amélioration de l'approche de la pauvreté
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aaaaaa Les retraités de 1996 sont très différents des retraités de 1970. Ceux-ci étaient nés avant 1910. Venant surtout de la campagne, des usines, de l'artisanat et des chantiers, souvent peu éduqués, ils ont participé et survécu à deux guerres et ont reconstruit deux fois la France. Le système des retraites obligatoires, trop récent, ne leur a décerné que de maigres pensions. Au contraire, les retraités de 1996, plus fréquemment cols blancs, hommes et femmes, ont cotisé longtemps, fréquemment 30 à 40 ans, au régime général et aux complémentaires. Conséquence : niveaux beaucoup plus élevés des pensions, suivant la formule magique : Cotisations obligatoires + = épargne forcée prolongée + = revenus différés ++. De plus, la (ou les deux) génération(s) des travailleurs actuellement retraités a été une génération de fourmis, comme le voulaient Jean de La Fontaine ... et l'état. L'épargne de précaution et pour le logement est devenue une seconde nature. Les patrimoines ont cru et ont engendré des revenus additionnels ou des économies de loyers bien avant la retraite.
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aaaaaa Il n'y a pas de miracle. Non, la retraite n'engendre pas la baisse de la pauvreté. Le revenu d'une personne chute (souvent de 25 à 60%) lorsqu'elle abandonne son emploi pour la retraite. Les bas salaires se rétrécissent en plus petites pensions. Les principales exceptions sont les chômeurs, les RMIstes, et les bénéficiaires d'autres minima sociaux ... Car il y a le « filet de sécurité » constitué par le Minimum Vieillesse (3576 F pour une personne seule), du même ordre de grandeur que le seuil de pauvreté monétaire. L'allocation associée au MV, l'ASMV, est limitée à 2000F. Au 31/12/1997, 822000 personnes étaient bénéficiaires de l'ASMV. Pas très riches, ces retraités pauvres ! Le RMI max est de 2609 F et l'API max est de 3300 F.
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aaaaaa Quant aux travailleurs, leurs cotisations augmentent leur capital retraite jusqu'au jour de la liquidation. C'est un élément prépondérant de leur patrimoine, à presque tous, si Dieu leur prête vie longtemps. Pour un privé moyen, 8936 F de retraite par mois pendant 25 ans, cela représente 2680000 F. Plus que la valeur de l'appartement ou de la maison, de la voiture, des plans d'épargne, ... Pour un fonctionnaire moyen, 12669 F additionnés pendant 25 ans c'est 3800000 F. La voilà, l'espérance de la vie ! Cependant, après le « top » du départ de la retraite, le capital s'épuisera au fur et à mesure que diminuera l'espérance de vie ... et qu'il deviendra plus difficile, plus dangereux et plus coûteux de mordre la vie à pleines dents.
Alors pourquoi ce capital fabuleux est il occulté dans les analyses sur les revenus et les patrimoines des ménages ? Sa prise en considération apporterait la continuité et la logique qui manquent aux parcours des ménages qui nous sont présentés avec la pauvreté monétaire. L'ensemble des actifs et des passifs constitue le patrimoine des individus et des ménages. La première richesse est l'intégrité de la personne et sa santé. La connaissance, le savoir utile et la capacité d'assimilation ne s'octroient pas. Il faut se les approprier, les arracher au besoin. C'est avant la sortie de l'appareil éducatif que s'est formé le « potentiel revenus du travail », déterminant des revenus des 35 à 40 années de la « vie active » et, partant, d'un capital retraite plus ou moins consistant. Je n'ai pas vu cette continuité non plus dans les rapports. |
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aaaaaa La montée dénoncée de la pauvreté des jeunes et de leur dépendance vis à vis des parents rend perplexe. En 1998, sur les 730000 jeunes sortant de l'appareil éducatif, 40% ont obtenu des diplômes d'enseignement supérieur et 60% sont bacheliers. Au cours des 20 dernières années, les effectifs de l'enseignement supérieur ont presque doublé, passant de 1181108 étudiants en 1980-81 à 2125588 en 1999-2000. Les jeunes scolarisés ou étudiants quittent les parents à 23 ans, en moyenne. Par crainte du chômage des jeunes, l'état a encouragé cette rétention par le système éducatif et cette « dépendance » des parents, otages aimants et spontanément solidaires. Le gouvernement et le Conseil Économique et Social ont engagé la lutte finale pour l'indépendance avant les élections de 2002. Bravo ! Mais, de quels jeunes s'agit il exactement ?
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aaaaaa Il y aurait plus de ménages « pauvres » parmi les salariés en 1996 et 1997. Entre 1975 et 1997, le revenu moyen de ces salariés pauvres est pourtant passé de 1850 F par mois à 2800 F, soit +50%. Encore le miroir déformant de la « pauvreté monétaire relative ». Il faut aussi savoir que la dénomination « salariés pauvres » recouvre principalement des salariés n'ayant souvent pu travailler qu'une petite partie de l'année (CDD courts, chômeurs, RMIstes, ...) et les jeunes prenant leur premier emploi en cours d'année. C'est d'ailleurs pourquoi leur revenu moyen est si faible, malgré les aides reçues. Auparavant, les salariés pauvres étaient plus souvent des salariés avec des petits salaires. N'oublions ni le fort chômage qui culmine en 1996-1997, ni que les principales victimes, les chômeurs de longue durée, sont encore fréquemment des personnes sans diplôme et avec peu de qualification. Il y a une vingtaine d'années l'appareil éducatif crachait 300000 jeunes par an sans diplôme ou qualification (jusqu'au CEP). En 1998, il en a « crashé » encore 156000.
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aaaaaa Du côté des retraités, ne sont pas admis dans la sélection en vue des confrontations avec les salariés et les jeunes : les veuves n'ayant jamais travaillé, les handicapés, les personnes hébergées dans les collectivités, dans les hôpitaux et les maisons de retraite, les indépendants (ayant plus souvent des pensions faibles), les personnes âgées sans pension (ce ne sont pas des retraités s'ils n'ont pas de pension). Mieux vaut avoir la santé et la pension en poche. 822000 personnes reçoivent l'Allocation Supplémentaire Vieillesse. 800000 seraient bénéficiaires potentielles de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie. Pour une personne lourdement dépendante, le coût de pension en institution dépasse 12000 F / mois. Combien de personnes âgées parmi les 620000 Allocataires Adultes Handicapés ? Et parmi les bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle ?
L'optique choisie est trop réductrice pour espérer voir la pauvreté chez les personnes âgées. Un seuil unique de pauvreté, quelque soit l'état de la personne, risque de faire ignorer de grands besoins d'aide ... |
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aaaaaa La sélection des retraités est sans doute assez compétitive pour affronter les salariés. Mais il manque une partie de ses pauvres. Tandis qu'aux « salariés pauvres » il manque surtout du travail. Comparaison n'est pas toujours raison ! On notera que les comparaisons entre pauvres, salariés, jeunes, retraités, ... ne sont pas des comparaisons entre ménages représentatifs de ces catégories sociales. Elles ramènent vite à celles des aides aux bénéficiaires et des minima sociaux. Ne craignons pas les raccourcis et les aides des familles. N'oublions pas les indépendants, ou ceux qui l'ont été, et les victimes de toutes les catastrophes récentes.
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C'est celui qui en parle le plus qui en fait le moins
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aaaaaa À côté des discours sur la pauvreté, la RTT a favorisé le freinage, sinon la régression des salaires. Les valeurs des points de retraites, les allocations chômage, les minima sociaux et les aides sociales ont été peu relevés. Il est encore tôt pour apprécier l'impact et le coût de la CMU. La PSD a été critiquée, mais sa remplaçante, l'APA, ne verra le jour qu'en 2002, et ce seront les collectivités locales qui paieront le plus. L'épargne populaire a été sanctionnée. Le SMIC a été perturbé. Et surtout, il y a eu cette hausse gauche de la CSG en 1997 !
En 1996, il y avait peu de ménages « pauvres » comptant au moins un salarié à temps plein. Il y en aura un peu plus. Après la hausse de la CSG, le SMIC à 39 heures (7101 F brut) laisse un net de 5609 F . La RTT a ouvert la porte à un 2ème SMIC, à 35 heures, d'un montant brut de 6373,17 F, soit 5034 F net, plus proche du seuil de pauvreté. Conséquence : un couple avec un seul nouveau SMIC sera porté « pauvre ». Chapeau ! Le gouvernement a d'abord surprivilégié les rentrées fiscales et la RTT par rapport au soutien des revenus modestes et à la lutte contre la pauvreté. Maintenant, il joue par la bande la remise au travail des RMistes, des chômeurs et des travailleurs précaires avec la « prime à l'emploi », en même temps que la restitution aux autres plus bas revenus du travail. Combien et jusqu'à quel seuil ? Pas touche au SMIC et à la compétitivité. Jusque quand ... Chut, le patronat ne dort que d'un oeil. Surtout pas de réveil avant les élections. La continuité de la stratégie n'apparaîtra pas évidente à tous. Quant à la pertinence ... C'est une autre affaire, bien délicate. L'heure de la main dans le dos et des petits coups de pouce est toute proche et l'on sait qu'elle n'apportera que des petits frissons et des petits plaisirs. Puis, il faudra remettre la main à la poche. |