IM MEMORIAM
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par Luc Beyer de Ryke
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Pierre de Boisdeffre
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aaaaaa Sa silhouette petite et enveloppée, son verbe haut perché rendu moelleux par l'onction, avaient conduit François Mauriac à surnommer Pierre de Boisdeffre « Le chanoine des Lettres ». Ce n'était pas mal vu. Comme l'abbé Munier, véritable ecclésiastique lui, qui était, il y a bien des années, la coqueluche des salons, Pierre de Boisdeffre promenait partout sa curiosité en éveil. Il avait l'art de résumer en quelques mots prenant allure de tableau, les scènes dont il fut acteur ou figurant.
Ses mémoires intitulées « Contre le vent majeur » constituent le gotha empli d'une verve ennoblie par l'élégance du style d'un monde où se retrouvent les écrivains, les politiques, les femmes. C'est un art que Pierre de Boisdeffre pratiquait avec bonheur de se glisser dans l'Histoire et d'en recueillir les confidences.
À cet art Boisdefffre ajoutait un mérite. Il avait le courage d'oser déplaire. Même lorsqu'il se trouvait devant le Général. L'un ou l'autre, offusqué, manifestait de l'irritation et se voyait attirer la réplique de De Gaulle « Laissez donc parler M. de Boisdeffre. Il est encore assez jeune pour dire ce qu'il pense. Il m'a même expliqué un jour que j'ai eu tort de créer le Rassemblement ! »
La bonhomie un peu bougonne du Général décrispait l'atmosphère et apaisait les courtisans.
L'insolent se voyait réhabilité et revenu en grâce quand de Gaulle ajoutait : « Savez-vous Boisdeffre, que j'ai lu tous vos livres ? Votre Barrès était remarquable, votre littérature fort utile. N'abandonnez jamais la littérature. Je considère qu'en tant qu'écrivain vous avez perçé ».
Le Général était d'un jugement sûr, qu'il s'agisse de Métamorphose de littérature qui valut à Pierre de Boisdeffre le grand prix de la Critique, de la monumentale Vie d'André Gide, de son portrait de George Sand, berrichone comme il était lui-même du Berry, les oeuvres de cet essayiste et critique remarquable ne se comptent pas. Beaucoup demeureront des ouvrages de référence.
On relèvera parmi les souvenirs les plus récents, Le Lion et le Renard paru en 1998 aux éditions du Rocher. Il s'agit d'une biographie comparée du Général de Gaulle et de François Mitterrand.
Pierre de Boisdeffre n'était ni homme de clan ni de parti. Il laissait une part de lui-même saluer et admirer chacun de ses deux hommes qui, pourtant, s'étaient tant combattu. Que l'un et l'autre pouvaient prétendre à une qualité d'écrivain l'incline sans doute à cette admiration partagée. Écrivain, lui le fut. Son départ endeuille la République la plus noble qui soit, celle des Lettres.
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Michel Jobert
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aaaaaa Michel Jobert nous a quitté. Il est parti pour cet « ailleurs » qu'il affectionnait dans sa vie politique. Rarement plus grande indépendance d'esprit caractérisa un homme politique. On le vit dans des cabinets de ministres démocrate-chrétiens mais aussi dans celui de PMF, Pierre Mendes-France. Georges Pompidou l'appela à diriger le sien avant qu'il devienne secrétaire général de l'Élysée. De l'Élysée au quai il n'y a que la Seine à franchir. ce qu'il fit pour devenir le ministre des Affaires étrangères de Pierre Messmer.Treize mois suf-firent pour que le monde, et les États-Unis en particulier, apprennent et retiennent son nom. Il y avait désormais en bord de Seine un village gaulois pour résister aux impudeurs et impudences américaines.
Lorsqu'arriva François Mitterrand, Michel Jobert, jusqu'en 83, détint le porte-feuille du Commerce extérieur. Là encore il défendit bec et ongle les intérêts français.
Sa carrière ne se limite pas aux charges qu'il occupa. La France, Michel Jobert ne l'illustra pas seulement dans le service de l'État. Il la défendit les armes à la main. Il participa à la bataille d'Italie, débarqua en Provence et fut blessé, grièvement, près de Belfort.
Croix de guerre 39-45, Michel Jobert était commandeur de la Légion d'honneur.
Les armes, le verbe furent complétés par la plume. Celle de l'analyste et du polémiste. Celle aussi du romancier. La rivière aux grenades évoque le cadre de ses enfances marocaines. Et Vandales trace l'épopée d'un peuple qu'il entreprend de réhabiliter. Son style concis Michel Jobert le mit au service de réflexions d?où la polémique n'est pas absente.
Il avait tenté de convaincre Henry Kissinger, Dear Henry, d'aller au-delà de ses notes destinées au « State department » et d'écrire un recueil où il dirait aux Américains ce qui est essentiel pour eux en politique étrangère. « Trop difficile. Je ne m'y risquerais pas », s'entendit-il rétorquer.
« Attention ! Si vous déclarez forfait, je serai assez fou pour tenter de le faire ». Il le fit et ce fut Les Américains analyse pénétrante des droits et des devoirs qu'il faut assumer lorsqu'on a des prétentions « impériales ».
« Rome n'est plus Rome lorsque la vertu la quitte » prévenait-il.
Dernier clin d'oeil insolent de cet imprécateur que fut Michel Jobert. Depuis deux ans il lui arrivait de donner des chroniques à... L'Humanité. Personne n'aurait pu pour autant le croire « passé » au Parti Communiste. Il était lui-même où qu'il écrive, où qu'il parle. C'est-à-dire « ailleurs »... Sans jamais quitter la France.