Patrick GUIOL, président de l'APL-SAGP
Pour la mise en oeuvre de la Participation dans l'entreprise, une idée nouvelle : la « Société à gestion partagée »
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aaaaaa On s'attachera, ici, à présenter un projet pratique destiné à introduire davantage de codécision dans les entreprises françaises. L'atout principal qui singularise ce projet réside dans :
- Le caractère réellement collectif d'une démarche qui associe des experts de tous horizons et, surtout, de toutes sensibilités politiques. Des chefs d'entreprises et des syndicalistes y ont également contribué.
- Le caractère délibérément « circonscrit » mais novateur d'un dispositif adapté à notre époque. Bien que basé sur le respect du volontariat, il voit s'ouvrir à lui un champ d'action extrêmement vaste pour ne pas dire illimité.
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aaaaaa Enfin, l'originalité de la méthode retenue pour son institutionnalisation contribue à le distinguer de ce qui s'est pratiqué jusque-là. La démarche, inverse aux procédures habituelles, relève d'une stratégie que l'on pourrait définir comme une « initiative citoyenne » matérialisée en une association non-partisane dont la vocation est de porter à maturité un texte devant la représentation nationale.
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aaaaaa Cet article ne traite, en conséquence, ni de philosophie, ni d'histoire des idées de la participation, et n'aborde qu'un seul des trois volets du triptyque « bénéfice-capital-gestion », le troisième : celui relatif à la marche de l'entreprise.
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aaaaaa Son ambition est de démontrer le bien-fondé de la « Société à gestion partagée », avec l'objectif de susciter les bonnes volontés et les soutiens indispensables à la réussite du défi relevé.
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aaaaaa Mais avant d'exposer les particularités du projet, autorisons-nous un rapide détour historique en forme de panorama interprétatif des aléas de la politique française de participation. Cette mise en perspective s'impose pour mieux comprendre les difficultés ou les échecs passés et apprécier les opportunités actuelles.
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I - La Participation en France : panorama d'une destinée politique et mise en perspective
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aaaaaa Ce n'est pas dans ces colonnes que j'aurais à convaincre les lecteurs d'un constat qu'ils partagent vraisemblablement en majorité : le Général de Gaulle fut l'homme d'État français qui, plus que tout autre, a érigé la Participation au rang de doctrine d'État. A l'évidence, il dépassa en la matière certains de ses illustres prédécesseurs comme A. Millerand, P. Waldeck-Rousseau ou A. Briand, qui chacun à leur manière défendirent une perspective réformiste de même nature. Si le chef de la France Libre dessina bien avant la Libération les contours du changement de régime social qu'il importait, à ses yeux, d'instaurer après la victoire des Alliés, c'est avec le RPF qu'il trouva l'opportunité de développer un véritable laboratoire doctrinal en matière d'association capital-travail, renouant pour l'occasion avec les sources chrétiennes-sociales et socialistes françaises des années 1840. A son grand regret, ces sources avaient été délaissées par le mouvement ouvrier au profit d'une marxisme-léninisme imprégné de philosophie allemande (Cf. La France et son Armée, 1938), c'est-à-dire d'une pensée sociologisante dont, d'instinct, il se méfiait tant ses ressorts s'apparentent à la pensée du Volksgeist (le « génie national », ethnique de préférence mais qui assimile toute « culture identitaire » prise dans le sens clanique d'une quelconque entité homogène). Un mode de pensée opposé aux valeurs universelles, niant une quelconque transcendance entre les hommes au-delà de leurs origines nationales, sociales, religieuses ou ethniques, que le philosophe allemand Herder développa en réaction aux Lumières. Ainsi, de Gaulle témoigna-t-il d'une intuition peu banale et fulgurante : la polémique du socialisme scientifique envers le socialisme utopique cache, bien au-delà d'une simple discorde sur l'efficacité révolutionnaire, un véritable schisme intellectuel dont l'enjeu est une certaine conception de l'Homme. Dès lors, entre les deux voies possibles du changement social - la voie exclusive de l'instrumentalisation de la « lutte des classes » que prône le matérialisme historique d'un côté, celle de « l'associationnisme » inter-classiste malgré toutes les contradictions d'intérêts qu'elle véhicule de l'autre - sa préférence pour la seconde ne répondit pas seulement à une posture morale, à un rejet humaniste de la dictature du prolétariat ni même à une inclination patriotique sacralisant l'unité nationale mais renvoie, chez lui, à un choix de civilisation. Et une fois de plus, c'est le choix de la France qu'il fait. Ce n'est pas sans raison que le journal du RPF, Le Rassemblement, titrait sous la plume de son frère Pierre : « Nous sommes les héritiers des révolutionnaires de 1848 ! », ni que d'autres auteurs du même organe prônaient pour horizon un « socialisme d'association » ! Aidé par une poignée de gaullistes de gauche, de Gaulle a dès lors réussi cet étrange paradoxe de faire camper à droite un thème issu de la gauche, quoique délaissé par elle. Une chatte n'y retrouverait pas ses petits. Voilà pour l'enjeu idéologique ! Chacun sait, aujourd'hui, qu'il n'a pas fait le mauvais choix.
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aaaaaa Il n'empêche que la lucidité nous oblige de reconnaître qu'en ce domaine le fondateur de la V e République n'a pas réussi, malgré de très substantielles avancées, à combler l'écart entre son ambition affichée et ses réalisations. Il ne cache d'ailleurs pas sa déception en même temps qu'il affirme ses espoirs.
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aaaaaa A l'inachèvement de cette oeuvre, on trouvera plusieurs explications dont toutes ne renvoient pas à l'incompréhension ou à l'hostilité de ses adversaires. Certes, les syndicats et les partis de gauche ne lui facilitèrent pas la tâche, certes le patronat ne se rangea pas, lui non plus, de son côté, mais au sein même de sa propre famille politique la cohésion sur ce chapitre n'alla pas de soi. Et il y aurait beaucoup à dire. Sur le principe même de la participation, des désaccords s'exprimèrent ; sur les interprétations ensuite, la confusion régna. Enfin, et surtout, la période historique qui fut la sienne joua un rôle négatif décisif : d'abord propice durant la guerre, elle se mua très rapidement en terrain miné dès le retour des partis et l'apparition de la guerre froide. Liée à l'opposition soviétique au plan Marshall, cette lutte Est-Ouest prit, en France, le visage d'une adversité féroce entre les fidèles du Général et les communistes désormais qualifiés de « séparatistes ». Suite au sermon que Jacques Duclos reçu de Jdanov en septembre 1947 et au départ des ministres communistes du gouvernement Ramadier - en clair, dès le rappel à l'ordre de Moscou - le PCF se retrouva dans l'opposition où campaient déjà les gaullistes. Dans ce contexte de tensions internationales, avec des logiques politiques divergentes sur l'essentiel : internationalisme « prolétarien » d'un côté, contre souveraineté et indépendance nationale de l'autre, l'affrontement était non seulement fatal mais se traduisit par des violences manu militari. Comme, de surcroît, les complications sociales de la reconstruction dominaient le climat de l'époque, la démarche participative s'est trouvée investie d'une dimension politique préjudiciable. Cheval de bataille du gaullisme sur le terrain de l'entreprise, bravant ainsi la chasse gardée du PCF, elle fut dénoncée comme « collaboration de classe » avec une virulence excessive. Exit la fraternité et les idées sociales de la Résistance ! Conséquence politicienne redoutable : toute une génération de militants syndicaux et politiques de gauche fut socialisée contre l'idée même d'association capital-travail, ce thème majeur du gaullisme après la révision constitutionnelle. Alors, que deux ou trois années auparavant cette problématique du « compromis » ne posait pas tant problème au sein du CNR ni au Gouvernement provisoire (le préambule des ordonnances sur la création des comités d'entreprise et des délégués du personnel en atteste, sans oublier le préambule de la Constitution de 1946 repris dans celle de 1958), elle devenait dès lors l'ennemi à abattre. Quant aux socialistes, soucieux avant tout d'observer un marquage au plus près de leurs concurrents communistes ils n'hésitèrent aucunement devant la surenchère verbale en matière de « lutte des classes ». Hostiles à Charles de Gaulle par anti-militarisme, rejetant la problématique participative par allégeance à cette dialectique marxiste revisitée par Lénine, ils s'épuisèrent à la poursuite d'un PCF hégémonique, reniant des thèmes pourtant fondateurs de leur identité première. La contradiction flagrante entre un discours révolutionnaire et la pratique réformiste qui les caractérise ne fit que les éloigner de toute consistance politique. De sorte que tout compromis de nature progressiste qui paraissait encore possible à l'époque du gouvernement provisoire ne le fut plus dès 1946. Et pour longtemps !
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aaaaaa Ainsi, la participation fut-elle, en France, la première victime co-latérale de la guerre froide. Et quand, dans les années 60, le général de Gaulle voulu revenir sur le sujet, les temps n'étaient pas encore suffisamment favorables.
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aaaaaa Avec les trente glorieuses a donc été perdu une chance inespérée d'instaurer la participation des travailleurs à son juste niveau, celui de la marche de l'entreprise. On ne peut que le regretter. A cette époque, cette perspective était portée par une croissance annuelle de 6 %, la transition pouvant s'envisager suivant les mécanismes du plan Loichot ; en d'autres termes, via une accession graduelle à la majorité du capital sur une vingtaine d'années. La propriété de l'outil de production étant encore perçue comme la clé légitime du pouvoir selon les canons de la pensée aussi bien libérale que marxiste. Une pareille réforme envisagée par Vallon et Capitant n'aurait pas été insignifiante ! Encore, aurait-il fallu les appuis politiques nécessaires qui manquèrent cruellement... de tous bords. A commencer par les premiers concernés, les gaullistes qui se doivent de balayer devant leur propre porte ! L'ersatz dont nous héritons, l'ordonnance d'août 1967, entérina tout de même un droit des travailleurs sur le fruit de leur travail, cas unique en son genre.
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aaaaaa Aujourd'hui, nous sortons à peine de cette situation de blocage. L'effet de génération s'estompe et certains syndicats évoluent sensiblement. Le besoin d'un horizon social se fait sentir à nouveau car l'écran de fumée de l'Europe fédérale mitterrandienne qui servit, à partir du tournant de 1983, de substitut au naufrage idéologique de la gauche s'épuise et cesse de faire illusion (au même titre, d'ailleurs, que l'anti-racisme de pacotille et tous les palliatifs sociétaux). Avant ce subterfuge, le thème de l'autogestion qui, dans les années 70 connut une utilité réelle en tant que facteur de mobilisation des couches moyennes salariées durant la phase d'ascension des socialistes vers le pouvoir, fut abandonnée avec une rapidité déconcertante trahissant, ainsi, sa véritable fonction démagogique. La conjoncture dans laquelle la lutte contre le chômage imposait sa priorité permit de masquer un vide théorique sous des responsabilités plus prosaïques d'une urgence providentielle. Pour couronner le tout, la chute du mur de Berlin doublée de la faillite du communisme en URSS rendit les communistes français orphelins de référent doctrinal (non sans les libérer de leur ex-dépendance supranationale) et, par voie de conséquence, priva les socialistes de tout « lièvre ». Bilan accablant, l'exercice du pouvoir laissa sur le sable une gauche réduite à sa plus simple expression : le social-libéralisme.
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aaaaaa La vraie question sociale, celle de la condition salariale, qui fut l'essence même du mouvement ouvrier, est désormais en panne dans une République sans horizon et une France sans dessein. Pourtant, la réalité de cette question dont Charles de Gaulle affirmait qu'elle est au fond du drame de notre siècle n'a pas pour autant disparu et ne tardera sans doute pas à réapparaître au grand jour, aiguillonnée par la globalisation libérale. L'émergence de mouvements sociaux alternatifs n'en est-elle pas déjà le présage ? La solution marxiste ayant pourtant échoué, la gauche parlementaire ne pourra indéfiniment éluder son examen de conscience. Aussi, certains en son sein regardent-ils déjà d'un autre oeil l'alternative participationniste ; c'est l'élaboration entre 1999 et 2000 de la loi Fabius sur l'épargne salariale (rendons à Strauss-Kahn le mérite de l'initiative). Charles de Gaulle n'aurait-il pas préféré bénéficier des conditions actuelle ?
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Suite de l'article de Patrick GUIOL dans le prochain numéro de 18 Juin : L'APL-SAGP et la « Société à gestion partagée ».